Rider/Texte : Bruno Garban ::
Photos : Xavier Ferrand ::
L’avion se pose enfin. Autour du Tarmac de l’aéroport, le ciel est gris, une lumière rasante balaye le relief, tout est blanc, une couche de poudre de la veille scintille, ça caille. L’odeur du kérosène se mêle avec l’odeur de la neige, et des embruns.
Ici c’est Tromso, au nord de la Norvège, même latitude que le Groenland, à gauche ou que Mourmansk, à quelques centaines de km à droite. Alors vu l’hiver calamiteux qu’on vient de supporter, si on ne gratte pas un peu de poudre ici c’est qu’il y a maldonne.
Dans le hall de l’aéroport il y a que des montagnards qui trainent leurs grolles. Comme dirai l’autre, le monde se divise en deux catégories… Ceux qui se trimbalent en boitant, ils sont sur le départ, et les autres encore stressés par l’idée de ne pas récupérer leurs bagages.
Je t’avoue que, le temps passant et le tapis roulant déroulant, on se sent de plus en plus appartenir à la seconde catégorie. Le tapis déballe des housses à ski et toujours pas notre matos, du coup on le connait bien l’aéroport de Tromso…Sur le haut du mur du fonds, une pub en 5m par 6 pour la marque Norona. Cette image, je l’ai surement déjà vue sur le site de Black Crows, on y trouve le récit de la traversée des Alpes de Lynguen par Bruno Compagnet. Les alpes de Lyngen c’est cette péninsule alpine campée en haut de la Norvège farcie de couloirs qui tombent sur l’océan, y plus qu’à.
Bon, vu que les bagages n’arriveront que le lendemain, je me permets quelques réflexions, la résultante d’un raisonnement qui font que cette fois ci on se retrouve en Norvège.
Dans une vie de skieur il y a surement des destinations à ne pas manquer, les trois vallées en sont, la Suisse, l’Italie et toutes les autres grandes stations aussi, certainement, sans doute car dès qu’il s’agit de glisser on est tous pareil. Le son d’un claquement de fixation c’est toujours la même émotion comme une première fois…
Mais le ski est une sorte de boite magique, un caléidoscope, mais en aucun cas un micmac labyrinthique qui confine au souk de Taroudant le jour de la fin du Ramadan.
Le gout du ski évolue au gré des périodes de ta vie de skieur, celle pendant laquelle tu tournes des piquets, celle où tu droppes tout ce qui te passe sous tes pieds avec tes potes, celle où tu ne bouges pas de ton spot, dans lequel tu ride tes lignes à toi pour les ciseler au gré des courbes.
Certains en restent là, d’autres trouvent leur plaisir à partir en trip dans les stations étrangères, d’autres dans les pays ou le ski reste marginal. Certains spots ont la particularité de permettre d’évoluer en montagne tout en côtoyant l’élément marin, dans une esthétique folle, on peut parler du Kamtchatka et de ses volcans mais aussi de la Norvège.
La Norvège, c’est l’empire de la rando, le Graal du barbu, le pays de production de la chemise à carreau qui sent la naphtaline, non retiens moi, je m’égare totalement, je dénigre. Maintenant, la rando, c’est tendance et donc c’est freerando. Même si on en a toujours fait, il est un truc indéniable, l’évolution du matos permet de monter léger et de skier pour de vrai. Fini le truc ou tu montes comme tu peux ou tes peaux se décollent ou l’effort n’est pas naturel, tu suintes comme une boule de suif sous le caniard du sud de la Corse un jour de canicule ; tout ça pour descendre comme tu peux en sur-flexion dans des grolles qui vrillent tout en flippant de te faire un genou. Non, maintenant c’est fini, on peut enfin décemment monter pour descendre et là c’est en Norvège que ça se passe.
Airbnb, tu sais, c’est ce site de partage qui te permet de louer un bout de logement pas cher et un peu partout dans le monde, en fouillant du côté de la Norvège et notamment de Lynguen, on y trouve de tout de la boutique grand luxe, de petit pied à terre et aussi du bateau, à quai ou bien sûr pour caboter.
C’est simplement à partir de ce site que tu montes un trip ski. Reste ensuite à louer une guimbarde assez grande pour mettre ton matos et à toi la liberté. Ici aux alentours de Tromso tu navigues à vue, une route côtière passe en bordure de fjord, tu poses la caisse en bas du départ de rando, plus qu’à brancher les peaux, et tu montes.
L’attente des bagages sera l’occasion de mettre en application cette stratégie pratico pragmatique.
Le temps est avec nous, on profite de la journée pour faire un bout de route aux alentours de Tromso et tenter de repérer des spots à rando pour les jours suivants. La skoda rapid va vite, une radio norvégienne à tendance rock distille quelques vieux Guns n’roses et autres Van Halen classiques des années anti-boysband. La route, y en a qu’une, les villages passent et se ressemblent, des maisons colorées peu importantes sont posées face à la mer, tout est très calme, propre, pas d’ordures en tout genre au bord de la route, on est bien.
On déroule en direction de Tromvik, ciel bleu, montagnes blanches fraichement poudrées et mer bleu foncé, les lumières sont d’une pureté folle. Un stop vers Ersfjorbotn, un bout de village de pécheurs de fond de fjord, le poisson sèche au soleil, de chaque côté des sommets, des lignes et des couloirs. A y reluquer de plus près, ils sont tracés comme les 7Laux un jour de poudre en fin de partiel étudiant. Heureusement, ici on va bien prendre le temps de trouver notre ligne il y a de la matière à l’infini ; à condition d’avoir les bagages. Je ne te cache pas que cette situation commence à nous tendre un peu…
Après un dixième passage à l’aéroport, toujours pas de bagage. On traverse Tromso en direction du Nord, mêmes paysages, même quiétude et émerveillement. Après quelques bornes, la route file à l’intérieur des terres, c’est tellement rare qu’on tourne à droite, pour voir. De chaque côté de la route une plaine bardée de bouleaux plantés dans la neige rien de bien particulier finalement, presque lassant ; jusqu’au moment où la route descend. Au fond le village d’Oldervik juste derrière la mer et au fond se dresse l’échine de la péninsule de Lyngen. De la colline on passe directement aux grosses lignes façon Alaska, des pointes partout, striées de couloirs. Tout est poudré et certaines lignes sont déjà ridées. Frustration quand tu nous tiens…
L’avion de 18h aura finalement livré les bagages.
Tromso et alentours
Tromso est une ville posée sur une ile, desservie par trois ponts. L’endroit étant pas grand, tout est très dense, habitation, activités de service, de business, de pèche et autres trucs pour travailler. Quelques stations de ski dominent la ville. Trop tard pour profiter du télésiège, surtout pour un trip free rando.
On se retrouve finalement à coller les peaux dans la forêt sous les câbles de la télécabine de Fjellheisen. Fin de journée, on se dépêche d’enchainer les croisillons de montée de peur que la nuit tombe. Dessous Tromso s’allume, pour finir on arrive au sommet de la ligne de la télécabine. Les clients du resto nous prennent pour des demeurés. Le soleil tombe doucement derrière les montagnes, la lumière transforme les fjords en miroir c’est là que tu prends conscience que le coucher de soleil ne se fait pas en l’espace de dix minutes, ici de toute façon tu prends le temps. On taillera quelques courbes sur le haut de Fjellheisen pour enchainer la forêt dans quelques volutes de poudre bien fraiche. Plus qu’à se téléphoner quelques bières pour réhydrater le tout. On n’est pas bien là !!
Après deux jours de trip la skoda rapid n’est plus très superbe . On l’a garée au bord de la route juste après Ersfjorbotn au bord du fjord. Collage de peau préparation du sac etc…Les croisillons s’enchainent régulièrement et la montée déroule, l’esprit s’évade et vagabonde dans les paysages alentours, imaginant des centaines d’autres lignes à rider, du couloir bien raide ici, du grand ski dans la combe d’à côté, bref il faudrait au moins dix vies pour tout rider par ici. Le vent a bien soufflé la neige laissant apparaitre du bon carrelage rendant la montée vers Storsteinnestindan un poil pénible.
850 m dénivelé plus tard, (désolé Kilian on n’a pas regardé la montre) on est au sommet de de Storsteinnestindan (me demande pas de le prononcer). Un décor de dingue est posé devant nous, en bas Ersfjorbotn, puis un fjord, un autre fjord, au loin Tromso (son aéroport et ses voyageurs qui attendent encore leurs bagages). Si le sommet de Storsteinnestindan semble tranquille, il est déjà tracé. Parce que oui, je voulais t’en parler, ce qui est bien en rando c’est que tu montes par un endroit et que tout le monde redescend par là où il est monté. Ça, c’est vraiment la classe, surtout quand tu décides de mettre une bonne goute de pente tendance freeride dans ton run.
L’envers de Storsteinnestindan est bien plus attractif car il n’est pas tracé, merci les gars, surtout changez rien ! Les courbes s’enchaînent dans cette neige travaillée mais a tendance vieille poudre, tout flotte, voltige, glisse et s’enquille jusqu’au pied de la face. Reste à se laisser glisser jusqu’à Ersfjorbotn.
Le temps s’est couvert et le vent souffle juste dans le bon sens pour nous permettre d’approcher un troupeau de rênes qui cherche de la broussaille à becqueter au pied des bouleaux. Le troupeau a continué son chemin tranquillement et nous on s’est fait un trip Ushuaia nature séquence émotion inoubliable (Nicolas si tu nous lis..).
Après quelques jours passés vers Tromso, le temps est venu de décaler vers la péninsule de Lyngen pour entrer dans le vif du sujet. Vu que la météo n’est pas top et que l’ambiance a skoda rapid/hard rock c’est chouette, plus qu’à prendre la route (qui borde toujours les fjords entourés de montagne enneigées). On déroule Hundbergan, Fagermes, Sorbotn, Laksavtn, Seljelvnes, Nordkjosbotn, Overgard, Oteren, Rasteby, Furuflaten (ben quoi le Norvégien ça s’apprend alors merci de relire ces quelques mots encore une fois, si tu me lis…). On arrive enfin à Lyngsedet un bled de 900 habitants, une sorte de capitale de fjord au vu des hameaux perdus qu’on a traversés pour y arriver. Lyngsedet, c’est un point de départ pour rayonner sur la péninsule de Lyngen, on en a vite fait le tour.
On décide de faire un crochet du côté de Svensby, la route s’étire le long du Kjosenfjorden, puis les montagnes se redressent, de chaque côté sont posées des montagnes striées de couloirs rectilignes, le paradis de la pioche et du crampon notamment du côté des faces sud de Sofiatinden, (faudra revenir).
la plupart des faces est ont subi le transport de neige, le vent souffle fort et les nuages filent la moindre pente convexe porte sa rupture et sa plaque, une seule spatule posée là-dessus et c’est highway to the fjord.
Ces tribulations se terminent en bas de Store Kjustinden, le coin qui semble à peu près stable et bien abrité du vent c’est sans doute une bonne alternative car des voitures de randonneurs sont garées le long de la route. Une bonne combe bien raide nous attend de pied ferme pour la montée. Ici, la physionomie du spot n’est pas la même qu’à proximité de Tromso, tout est beaucoup plus raide et tombe directement dans le fjord. Plus qu’à transpirer lentement, enquiller les zigzags, rester patient, attendre que ça se passe. On prend pied sur une ancienne moraine, c’est l’endroit pour manger des graines en réfléchissant à la suite, c’est le moment d’analyser la suite du programme et l’itinéraire de montée. Ici les options sont multiples, couloir à gauche avec finish en corniche sommitale, à droite combe et couloirs communicants. Quel que soit le choix la poudre est là, tant qu’il te reste des cannes pour appuyer de la bonne courbe façon j’appuie de la bonne courbe, enfin je me comprends.
Le supermarché de Lyngsedet ne voit passer que des skieurs, une sorte de supermarché international perdu au fin fond du Nord de la Norvège. On y parle toutes les langues, tous les clients déambulent en fringues de rando, le rayon des bières et des graines est pris d’assaut. L’occasion de faire le plein de cannettes et de saucisson de viande de renne sous toutes ses formes et autre sachet de morue séchée pour la suite du trip.